Après avoir concrètement vécu et observé la conduite de projets innovants sans intégrer la démarche et la façon de travailler du design, soit le design thinking et design management, Emmanuel Brunet nous explique à travers son parcours et sa riche expérience pourquoi la découverte de cette approche a révolutionné son métier et la valeur de sa gestion de projet. À tel point qu'il en a fait son métier, a édité un des livres de référence dans le domaine du Design Thinking en pratique. Il revient dans cet entretien notamment sur la dimension actionnable de la méthode, essentielle pour que l'état d'esprit du design délivre sa vraie valeur efficiente et pragmatique aux projets innovants des organisations.
Bonjour Emmanuel, quelques-mots sur ton parcours ?
Initialement, je suis diplômé d'un Master en journalisme, multimédia et communication depuis 2002. C'était vraiment le tout début de l'ère "grand public" d'Internet et je me suis dit que je voudrais bien travailler dans ce domaine, qu'on appellerait plus globalement "innovation" maintenant. C'est pour cela qu'il fallait que je sois multi-casquettes : savoir écrire, comprendre dans les grandes lignes les bases technique, et savoir communiquer.
Naturellement, cela m'a amené vers le métier de Community Manager puis de Chef de projets, en travaillant aussi bien pour des start-ups que des grands groupes, afin d'avoir une vue complète du travail dans différents environnements.
Ma dernière longue expérience, avant de devenir consultant-formateur a plein temps, s'est passée chez Transdev, entreprise mondiale spécialisée dans toutes les formes de mobilité. J'y ai travaillé en tant que Chef de projets sur les produits innovants. C'est là que j'y découvre la facilitation, l'intelligence collective, la co-création. Ce fut une vraie révélation. J'ai donc essayé de me les approprier pour pouvoir les utiliser avec mes équipes. Cela changeait complètement la manière d'aborder un projet, de travailler en groupe. Grâce à la facilitation, j'intervenais ainsi sur les projets qui bloquaient pour les aider à tout reposer à plat, trouver les problèmes avant les solutions, supprimer toutes les réunions qui ne servent à rien, travailler en empathie pour que chacun puisse plus facilement s'exprimer.
En parallèle, je travaillais également au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en donnant des cours du soir aux personnes en reconversion professionnelle dans le social. Je me suis ainsi rendu compte que j'adorais ça et que, tout au long de mon parcours professionnel, j'ai eu l'occasion de former des gens.
Je me suis donc lancé en tant qu'indépendant en proposant des formations 100% Design Thinking. Suite à cela, la maison d'édition Dunod m'a appelé pour me proposer d'écrire un livre sur le sujet. Il sort sous le titre "La Boîte à outils du Design Thinking" qui est devenue l'une des références du monde francophone sur ce sujet.

Puis, avec l'envie d'aller plus loin, nous avons ouvert avec Alexandra North, l'Institut du Design Thinking. C'est un collectif d'indépendants qui propose des formations au design thinking, à la facilitation, des ateliers d'intelligence collectives, des séminaires créatifs, des design sprints. Et aujourd'hui, je suis très content d'intégrer le collectif de mentors pour les formations-actions de 19 Hz.
Pour terminer de me présenter, j'ai écrit un deuxième livre qui s'intitule "La boite à outils de la Facilitation", toujours chez Dunod.

Comment te définirais-tu en tant que formateur et facilitateur ? Quelle est ta singularité ?
Je dirai mon côté multi-casquettes que j'ai toujours cultivé tout au long de mon parcours professionnel. J'aime avoir une vision très large des projets et pouvoir intervenir sur des secteurs très variés. Avec l'Institut du Design Thinking, nous avons ainsi eu l'occasion de travailler aussi bien pour le secteur public que le privé et accompagner ainsi des entreprises aussi diverses que Safran, Axa, Médecins sans frontière, le Château de Versailles, la RATP, etc.
Nous sommes spécialisés dans le processus et peu importe le sujet, nous arrivons avec toute une palette d'outils qui permet de toujours trouver le bon outil pour la bonne problématique.
Je mettrai aussi en avant mon assertivité, mon côté facilitateur qui, comme un chef d'orchestre, permet de donner le rythme, jouer la partition tout en laissant s'exprimer chacun des instruments.
"Il est important aussi pour moi que chacune des formations que je donne se termine par un plan d'action personnel pour que chaque participants se projette dans l'après formation, pour qu'il y ait une vraie continuité.

Sur quels enjeux futurs le Design Thinking pourrait apporter des réponses ?
Pour moi, l'état d'esprit de la facilitation est la compétence que doivent acquérir tous managers, responsables de projets, directeurs, etc. Le 21e siècle est fait de ce regroupement d'expertises, de cette écoute, de cette mise à plat de la hiérarchie sans question d'ego. L'idée est de laisser les gens travailler de la manière qui leur corresponde le mieux, car cela ne peut être que bénéfique au projet. Que ce soit dans le privé, le public, l'associatif, si tu as embauché des gens pour travailler dans ton équipe, c'est aussi pour les écouter.
Par exemple, un directrice communication que j'ai formée à la facilitation m'a dit que cet état d'esprit avait vraiment changé sa manière d'être directrice. Elle laisse désormais beaucoup plus de latitude à ses collaborateurs. Et même s'ils ne font pas les choses comme elle le ferait, elle voit surtout le résultat plutôt que la manière d'y être arrivé.
La facilitation n'est pas une question de hiérarchie, le facilitateur n'est pas forcément le directeur ou le responsable de service. Cela pourrait très bien être le stagiaire s'il est bon dans cette posture et qu'il arrive à faire émerger les idées avec le bon état esprit.
Pour finir, sur quel projet rêverais-tu de travailler ?
Plus qu'un projet, c'est une ambiance qui me plairait en travaillant sur un vrai projet multiculturel avec des gens qui viennent du monde entier. Étant très attaché à l'humain, je suis très curieux de voir comment réfléchiraient ensemble un Russe, un Afghan, un Ougandais, etc. Ce serait un grand défi de facilitation, mais le résultat pourrait vraiment être fantastique !
Focus sur 2 ateliers d'Emmanuel :
1. Animation de 3 ateliers pour le "Grenelle contre les violences conjugales"
Peux-tu nous donner le contexte et les enjeux concernant ces ateliers ?
Nous avions été contactés par une Préfecture pour faciliter des ateliers dédiés au "Grenelle contre les violences conjugales". Sujet extrêmement important et d'actualité. Le but était de faire 3 ateliers d'une demi-journée en faisant participer un maximum des acteurs prenant en charge le parcours d'une femme et d'enfants victimes de violence conjugale.
Ces ateliers devaient donc permettre de répondre à un premier objectif primordial qui était :
Faire se rencontrer des personnes qui travaillent sur les mêmes sujets, mais qui ne se côtoient jamais, et leur permettre de comprendre les métiers de chacun.
Nous avons ainsi fait venir des magistrats, des avocats, des pompiers, des policiers, des infirmiers, des médecins, des membres d'associations pour qu'ils refassent ensemble les parcours idéaux sur ce sujet des violences conjugales, en essayant de comprendre les contraintes de chacun, selon leur métier et ce qu'ils apportent.
Nous les avons fait réfléchir sur les points qui fonctionnent, ce qu'il faut garder en favorisant le dialogue entre chaque participant, qu'ils puissent donner leur ressenti et se mettre en empathie vis-à-vis des points de vue des autres.
Puis nous avons fait un long focus sur ce qui ne fonctionne pas pour pointer l'ensemble des problèmes et ainsi pouvoir plus facilement y répondre.

Qu'en est-il ressorti ?
Tout d'abord, les différents acteurs ont réellement pu discuter ensemble, comprendre les quotidiens de chacun et garder contact en s'échangeant très simplement leurs cartes de visite et coordonnées.
Ils ont aussi pu se rendre compte de l'ensemble des étapes du parcours et réfléchir à comment mieux travailler ensemble pour faire partie d'une chaîne où tous les maillons sont importants.
Ces réflexions ont permis de faire émerger 36 propositions dont 5 ont déjà été mises en place au niveau national. La suite sera également déployée dans les prochains mois.
Ce fut des ateliers dans lesquels les participants ont été très actifs, très concernés et volontaires. Ils ont tout de suite vu que ces méthodes seraient pérennes sur le long terme. Même s'il n'y avait pas eu de propositions, le quotidien de l'ensemble des acteurs aurait déjà changé, notamment dans leur manière de travailler.
Les ateliers jouent vraiment le rôle d'étincelles, qui permettent de lancer une dynamique même une fois les ateliers finis. On ne peut pas tout résoudre en 3h, notamment pour des problèmes qui durent depuis plusieurs années, mais on peut initier les changements, responsabiliser les gens, les faire se poser les bonnes questions et faire en sorte qu'il y ait une pérennité dans le temps.
2. Cycle de conférences de Design Thinking pour Safran
Comment se sont déroulées ces conférences ? Quels messages leur as-tu transmis ?
Dans le cadre de leur semaine de l'innovation, le groupe Safran m'a demandé de faire plusieurs conférences dédiées aux RH, aux équipes techniques, aux équipes administratives pour leur insuffler un petit peu de Design Thinking. L'idée était de leur expliquer ce qu'est le Design Thinking et surtout ce que ce n'est pas, pour bien leur faire comprendre que ce n'est pas une baguette magique qui résout directement tous les problèmes.
C'est d'abord un état d'esprit avant d'être une méthode ! Le but était donc de leur faire déclencher cet esprit de consentement de groupe, de travailler dans l'action plutôt que dans l'anticipation perpétuelle avec des "Il faudrait que...", de travailler sur la pensée visuelle que chaque réflexion soit répertoriée, dessinée puis partagée avec le reste de l'équipe pour pouvoir y réfléchir le plus longtemps possible, avec du recul.
Ainsi, on mets à plat toutes les idées trouvées, pour se les approprier, les triturer dans tous les sens, les assembler, les simplifier, les critiquer... pour ne sélectionner que celles correspondant réellement à l'objectif et à l'équipe.
